Viateur Lapierre aime sincèrement la nature et sait la regarder avec autant d’acuité que d’amour. Jamais il  ne la copie servilement ; il la métamorphose. Il aime chercher, dans la nature, les sites, les aspects qui peuvent produire une impression vive, forte et durable chez le spectateur. Il est chantre fervent et attentif de la vie rurale québécoise : Beauce, Saguenay, Gaspésie, Vallée du Richelieu, Bois-Francs, Charlevoix  l’ont  tour à tour attiré et d’émouvants tableaux immortalisent désormais ces régions.

En atelier,  toujours sous l’influence de la musique des grands maîtres, il interprète les esquisses effectuées au cours de ces nombreux voyages en sol québécois. Sa technique est sûre. Son sens de la composition, des valeurs et du coloris,  remarquables. Son geste est libre et nerveux. Sa touche est visible; son exécution, franche et limpide. La pâte est variée, épaisse en certains endroits et traitées avec la couleur mince en d’autres zones. Ses tableaux ne sont pas statiques ; les formes de couleur baignent dans la lumière qui peut venir de toutes parts selon le sujet. Il sait varier et diriger  la lumière avec ingéniosité afin de créer l’atmosphère, la joie ou le drame du tableau. Mais au delà de la technique qui n’est qu’une partie de la personnalité de l’artiste, son écriture, ce qui nous charme en regardant un tableau de Lapierre c’est qu’il nous communique une émotion. Ce traitement si singulier de la lumière apparaît vite comme une sorte d’âme des choses. Immatérielle, impondérable et pourtant visible, elle s’offre comme un symbole perceptible de l’invisible.

Ce que représente l’oeuvre de Viateur Lapierre est unique dans l’histoire des paysagistes canadiens: la tempête, la rafale, la bourrasque ont enfin droit de cité. Avec une maîtrise exceptionnelle, Lapierre évoque non seulement le Québec sous la neige mais le Québec au coeur de la tourmente hivernale. Si sa peinture semble même  nimbée de lumière intérieure, c’est qu’elle n’est  rien d’autre qu’une déclaration d’amour inlassablement formulée. De cet amour pour ce peuple qui a dû arracher aux éléments son droit de survie, ont surgi des tableaux où cette réalité est projetée avec vigueur et admiration : ces “bourrasques” si poétiquement intenses  sont le  fruit de son imagination lié à ses souvenirs d’enfance. Autant l’esquisse reflète le calme, autant le tableau définitif peut s’avérer des plus mouvementé et d’une expression nettement lyrique ; la tempête souffle dans les arbres tordus par le vent froid et un “survenant” luttant contre l’adversité se dirige enfin vers la chaleur réconfortante de son habitat. Les fenêtres éclairées de ces vieilles et robustes maisons agissent comme des phares dans le poudroiement lumineux autant pour nous, spectateurs émus, épris de la nostalgie de nos hivers d’antan. Lapierre sait nous rendre chaud et avenant ce qui dans l'absolu s'avère glacial et rébarbatif.

Aussi, Viateur Lapierre excelle à rendre le moment suprême qui précède le crépuscule ou qui annonce l’automne. Parfois, c’est un jaune doré ou orangé  mais toujours fugitif et ardent comme un étincellement qui transperce l’horizon d’un ciel violacé. Le sol où le marron et l’ocre forment un sourd mélange de terre et de feuilles mortes évoque la saison avancée, l’achèvement de l’année. En avant-plan et en contre-jour, un bâtiment de ferme nous rappelle combien l’humain mène une lutte continuelle pour arriver à se trouver sur un pied d’équilibre avec l’univers qui l’entoure, le menace, où il doit pourtant s’installer, trouver sa subsistance, vivre.

C’est dans  une apothéose de couleurs des plus généreuses que vibrent ses paysages d’automne. Les jaunes sont plus dorés, les rouges plus cuivrés, les bleus plus profonds, ces tons sont subtilement rehaussés par le blanchiment des façades des habitations baignées de lumière diffuse et composent  une atmosphère de sérénité, de contemplation. 

Saisissant les délicatesses d’une lumière mouvante avec toujours cette observation rigoureuse des valeurs, Lapierre a peint de nombreuses scènes maritimes: mer gaspésienne aux  rochers escarpés, vastes cieux couronnés d’un vol d’oiseaux, village qui pointe et scintille dans le lointain. La texture des récifs, le chatoiement du soleil sur l’eau sont finement suggérés. La palette chaude comme la légèreté de la touche ont d’heureuses parentés avec la technique impressionniste. 

En parcourant son oeuvre, on notera  son habilité à créer de beaux effets de perspective aérienne, le graphisme très personnel de ses arbres, la justesse anatomique de ses chevaux (réminiscence de la forge paternelle), l’utilisation judicieuse d’éléments topographiques dans la composition et l’équilibre du tableau (clôture, piquets, poteaux, fils, lampadaires, clochers, silos). Notons également d’autres sujets de prédilection chez le paysagiste: les patinoires naturelles avec des enfants livrés aux joies du patinage ou du hockey, les sites historiques (dont la superbe trilogie consacrée à Saint-Eustache ou encore l’étonnant Château Frontenac sous la neige), les érablières, les bateaux amarrés ou les voiliers pourfendant nos lacs.

Lapierre  nous transmet sa passion du patrimoine et son amour pour la beauté simple et sans fard de nos campagnes québécoises. Les oeuvres de Viateur Lapierre sont à son image, engageantes, généreuses et sereines. Elles font partie de nous parce qu'elles parlent de vie, d'espérance, de beauté et de mansuétude.


 
 

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